J’ai rencontré
LEONOR
dans son jardin
à Bouloc
(Haute-Garonne, France)
en 2007.
Tout le monde l’appelait « YAYA».
« Yaya » ,
en espagnol ,
signifie « Mamie ».
en espagnol ,
signifie « Mamie ».
lorsqu’elle parlait,
avec son accent de l’Aragon,
et ses cheveux parfaitement blancs
elle nous regardait droit dans les yeux.
Elle roulait les R, oui,
causait beaucoup, aussi,
ne finissait pas ses phrases, surtout,
sautait d’une idée à l’autre.
causait beaucoup, aussi,
ne finissait pas ses phrases, surtout,
sautait d’une idée à l’autre.
Un esprit vif,
toujours en mouvement.
« Paysanne, oui, mais pas béotienne. »
(Vous permettez que je lui emprunte cette phrase ?)
(Vous permettez que je lui emprunte cette phrase ?)
Chez elle, on trouvait
des crochets, des aiguilles,
du tomata, la gelée de coings, des figuiers,
un banc blanc sous le cerisier,
de la tortilla et de l’huile d’olive,
des légumes du jardin,
des photos dans des cadres,
et la télévision branchée sur l’Espagne, avec le volume réglé trop fort.
des crochets, des aiguilles,
du tomata, la gelée de coings, des figuiers,
un banc blanc sous le cerisier,
de la tortilla et de l’huile d’olive,
des légumes du jardin,
des photos dans des cadres,
et la télévision branchée sur l’Espagne, avec le volume réglé trop fort.
Elle avait une indépendance d’esprit et un anticléricalisme bien affichés.
Et je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle nous racontait - beaucoup trop de lieux, d’évènements, d’idées,
enchainés, sans arrêt.
Et je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle nous racontait - beaucoup trop de lieux, d’évènements, d’idées,
enchainés, sans arrêt.
Il y avait quelques leitmotiv.
Adolfo, son amour,
défunt mari.
défunt mari.
Son jardin,
son potager, sa fierté.
son potager, sa fierté.
Sa famille, son autre fierté,
ses petites-enfants,
ses arrières-petits-enfants.
Et plein de souvenirs, par bribes.
Sa grand-mère Ramona.
Son père, sa mère.
Ses frères, sa sœur.
Argentine, Andalousie.
Sa grand-mère Ramona.
Son père, sa mère.
Ses frères, sa sœur.
Argentine, Andalousie.
Son village.
Son exil.
(« J’avais dix ans, imagine !»)
(« J’avais dix ans, imagine !»)
Faire un choix à Vinaroz.
Se séparer dans les Pyrenées.
Puigcerdá,
La Tour de Carol,
- la Croix Rouge -
Belle-Île,
Ré
Agde,
Noé,
- les camps.
Se retrouver.
Se reséparer.
Se séparer dans les Pyrenées.
Puigcerdá,
La Tour de Carol,
- la Croix Rouge -
Belle-Île,
Ré
Agde,
Noé,
- les camps.
Se retrouver.
Se reséparer.
Le Mas d’Azil - le bien nommé, Ariège, France.
Il se trouve qu’elle avait pris l’initiative de consigner ses mémoires. Un ouvrage difficile à lire, un fouilli d’idées, de dates et d’anecdotes, difficile à appréhender.
Mais je me souviens, lors de cette lecture, avoir songé à mon grand-père,
émigré lui aussi à travers de montagnes, probablement à la même époque.
J’aurais bien voulu qu’il laissât lui
aussi une trace, des souvenirs, un récit.
- Mon héritage, ma partie de l’Histoire ?
aussi une trace, des souvenirs, un récit.
- Mon héritage, ma partie de l’Histoire ?
Puis,
Leonor décéda.
La vie continua.
Et Ailan se noya.
Il avait 3 ans,
ma deuxième fille aussi.
Alors qu’il traversait la mer,
nous venions de traverser les Pyrenées,
à l’inverse de l’exil de Leonor,
quittant la France pour l’Espagne.
Et tandis que ma fille soufflait ses trois bougies en ce mois d’octobre 2015, Ailan mourait en mer, et les photos de son corps inerte sur la plage tournaient en boucle sur ma timeline facebook.
- Jusqu’à la nausée.
Ailan la face contre le sable, et mes filles devant un gâteau au chocolat.
Alors,
Ailan la face contre le sable, et mes filles devant un gâteau au chocolat.
(je me suis liquéfiée, indignée,
j’ai gambergé
entre colère et incompréhension)
j’ai gambergé
entre colère et incompréhension)
j’ai relu les mémoires de Leonor.
Je suis allée dans son village,
au Mas de las Matas
puis à Noé,
puis à Vinaroz.
J’ai appris l’événement déclencheur.
J’ai lu « Des Aragonais », Lydie Salvayre et Macario Royo.
J’ai marché aussi dans la lumière de l’Aragon.
J’ai regardé
les réseaux sociaux
mes enfants grandir
les vagues de la mer
mes photos de famille.
J’ai saisi mon privilège.
Je n’ai pas trouvé ça juste.
Au nom de quoi faut-il distinguer
un Ailan, une Leonor, mon grand-père
et mes filles ?
Je voulais même en faire un projet photographique, et je n’ai pas réussi.
Mais je nous ai vu.e.s.
Passé, présent, futur.
les réseaux sociaux
mes enfants grandir
les vagues de la mer
mes photos de famille.
J’ai saisi mon privilège.
Je n’ai pas trouvé ça juste.
Au nom de quoi faut-il distinguer
un Ailan, une Leonor, mon grand-père
et mes filles ?
Je voulais même en faire un projet photographique, et je n’ai pas réussi.
Mais je nous ai vu.e.s.
Passé, présent, futur.